Déjà fini?

362

Eh oui, c’est déjà fini!! Chacun s’est éparpillé et a retrouvé ses pénates aux 4 coins de la planète. Il est l’heure maintenant pour les scientifiques de traiter les données récoltées, de commencer la rédaction des articles et pour moi de retrouver mes élèves.

Merci à tous ceux restés en France qui ont rendu ce voyage possible et qui m’ont accompagnée durant ces 9 semaines.

Merci à tous les participants de l’expédition 362 dont plusieurs d’entre eux sont maintenant des amis chers à mon cœur!

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Pas si vite!

On a l’habitude de dire que les séismes sont des phénomènes brefs durant de quelques secondes à quelques minutes. Mais on vous a menti ! (Probablement pas de manière intentionnelle, ce qui absout la faute en grande partie…). Les choses sont en réalité plus compliquées (où serait le fun sinon ?).

Les instruments de mesure ont beaucoup évolué depuis ces vingt dernières années. Ils sont maintenant capables de mesurer en continu de très faibles mouvements du sol pendant de longues périodes. Les scientifiques ont maintenant compris qu’il y avait plusieurs façons de libérer l’énergie accumulée le long d’une faille et que la durée de libération allait de la seconde au mois !

On définit ainsi 3 types de séismes et ces 3 catégories se produisent au niveau de la zone de subduction de Sumatra ! Encore un défi scientifique pour l’expédition 362!

Mais de quels types de séismes parle-t-on?

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1° cas : Les séismes “classiques”

Nous avons déjà parlé de ce type de séisme dans un post précédent (« Cherchez la faille »). La durée du séisme ira de quelques secondes pour une petite zone de rupture (entre quelques dizaines et quelques centaines de km2) à quelques minutes quand la zone de rupture est importante (entre quelques centaines et centaines de milliers de km2). La surface de rupture est à relier à la magnitude du séisme : plus celle-ci est importante, plus la durée de rupture est longue et plus la magnitude est importante. Ces séismes sont la conséquence d’une libération brusque des contraintes accumulées le long d’une faille. Ils peuvent conduire à la création d’un tsunami s’ils se produisent au niveau du plancher océanique. Le séisme de magnitude 9.2 de Sumatra (2004) et celui de Tohoku-Oki (2011) ont tous les deux provoqué la formation d’un tsunami mais ne peuvent cependant pas être qualifiés de “tsunami earthquakes” !! (c’est juste histoire de compliquer encore un peu les choses… pas marrant sinon !).

2° cas : Les “tsunami earthquakes”

Ordre de durée : quelques minutes. Ce type de séisme se produit au niveau des zones de subduction présentant un important prisme d’accrétion ou au niveau de l’interface entre les 2 plaques. La zone de subduction de Sumatra présente ces 2 caractéristiques. Pour ce type de séismes, les ondes se propagent à des vitesses nettement inférieures à celles des séismes classiques (typiquement de l’ordre de 1 km/s contre 2,5 à 3,5 km/s pour les séismes classiques). Ces vitesses de rupture lentes sont reliées à la propagation des ondes à travers des matériaux dits “faibles” (typiquement, des sédiments).  A partir du moment où le plancher océanique est mis en mouvement, il y a possibilité de déclencher un tsunami mais rappelons que les “tsunami earthquakes” ne sont pas les seuls à l’origine du déclenchement d’un tsunami. A perturbation équivalente du plancher océanique, ils présentent cependant d’avantage de risques de déclencher un tsunami que les séismes classiques. Un exemple récent d’un tel tsunami : celui de Pangandaran (Indonésie) de magnitude 7.7 en 2006.

3° cas : Les “slow slip events”

Ordre de durée : entre quelques jours et quelques mois. Ce type de séisme n’est pas perceptible par la population. Bien que lents, ils permettent de libérer des quantités phénoménales d’énergie, équivalent parfois l’équivalent d’un séisme “classique” de magnitude 6. Ils sont cependant encore assez mal compris. Ils ont été découverts grâce à l’utilisation de sismographes et de données GPS provenant de plusieurs zones de subduction dans le monde, notamment dans les Cascades (Colombie Britannique, Washington, Oregon, Californie du Nord) et dans la marge offshore de Nouvelle-Zélande d’Hikurangi. Deux prochaines missions d’IODP à bord du Joides Resolution vont essayer d’en savoir plus sur la façon dont se produisent ces événements, leur rôle dans le phénomène de subduction et quelles implications les hydrates de méthane pourraient avoir dans le phénomène de glissement.

Les expéditions 372 et 375 mettront le cap sur la marge offshore de Nouvelle-Zélande pour y trouver quelques réponses fin 2017-2018!

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Toujours mieux chez les autres?

C’est une habitude dans la vie, de se comparer aux autres. En général, une mauvaise habitude. Les zones de subduction faisant exception à la règle, je propose de m’adonner avec joie à mes mauvais penchants et de comparer la zone de subduction de Sumatra aux autres zones de subduction du monde.

Avant tout, c’est quoi une zone de subduction ?

La surface de la Terre est découpée en plaques rigides animées de mouvements qui leurs sont propres. Lorsque 2 plaques se dirigent l’une vers l’autre, elles se rencontrent au niveau d’une frontière de plaque que l’on qualifie de « convergente ». Lors de leur affrontement, l’une des plaques passe sous l’autre et s’enfonce dans l’asthénosphère : elle entre en “subduction”. La plaque qui s’enfonce est toujours la plus dense : soit parce qu’elle est composée de roches différentes (cas des zones de subduction océan/continent), soit parce qu’elle est plus vieille donc plus froide (cas des zones de subduction océan/océan).

Les zones de subduction sont-elles toutes les mêmes ?

La zone de subduction de Sumatra est qualifiée de « marge en accrétion ». Celles-ci sont reconnaissables par la présence d’un prisme d’accrétion sédimentaire. Ce prisme se forme par le biais de la dissociation des sédiments présents sur la plaque plongeante (ici, la plaque indienne). Les prismes d’accrétion forment une série de chevauchements habituellement “inclinés” vers les terres (on parle de “pendage”) (indiqués “Landward dipping trhusts” sur le schéma). Le prisme se construit par accrétion de sédiments arrachés à la plaque plongeante au niveau du front de la zone de subduction (loin de l’arc volcanique) -voir le diagramme ci-dessous.

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Schéma d’une zone de subduction en accrétion (modifié d’après Clift et Vannucchi, 2004)

Cependant, dans la partie nord du prisme d’accrétion de Sumatra, beaucoup de failles “penchent” vers l’océan, c’est-à-dire qu’elles ont un pendage opposé à celui que l’on constate habituellement !

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Schématisation de la zone de subduction de Sumatra (échelle non respectée)

On pense que le pendage atypique de ces failles serait lié aux propriétés physiques des sédiments impliqués dans la subduction. Ces mêmes propriétés physiques contrôleraient le jeu de la faille principale bordant les 2 plaques et générant les principaux séismes. Ce sont tous ces aspects qui ont été abordés lors de l’expédition 362.

Pourquoi y a-t-il tant de sédiments sur la plaque indienne ?

Une particularité de la zone de subduction de Sumatra est l’inhabituelle épaisseur de sédiments présents sur la plaque indienne. Jusqu’à 5 km en mer! Une grande partie de ce matériel provient du Bengal-Nicobar fan, situé à plus de 3000 km de là et alimenté par l’érosion des montagnes himalayennes. Ce fan est le plus grand éventail sédimentaire sous-marin actuellement sur la planète. Les rivières charrient le matériel érodé des montagnes himalayennes jusqu’à la côte. La majorité des sédiments se trouve piégée dans le delta (~80%)  et se dépose près de la ligne de côte, à terre ou en mer. Il reste cependant une quantité phénoménale de sédiments voyageant le long de canyons sous-marins jusqu’à la plaine abyssale. Une partie de ces sédiments est donc incorporée dans la zone de subduction et ainsi transféré à une plaque tectonique différente!

Cependant, dans beaucoup d’autres zones de subduction, notamment celles étudiées par forage, l’épaisseur de sédiments au niveau de la fosse océanique est moindre. Par exemple, elle est d’environ 1 km au large de la fosse de Nankai. A l’inverse, d’autres zones de subduction présentent des épaisseurs de sédiments équivalentes voire même plus importantes ! Dans la zone de subduction du Makran, localisée au large de l’Iran et du Pakistan, ce sont 7 à 8 km de sédiments qui entrent dans la zone de subduction! Ceci en fait l’un des plus larges et des plus grands prismes d’accrétion au monde! Il est relié au fan de l’Indus, lui-même alimenté par les rivières transportant les sédiments en provenance de l’Ouest de l’Himalaya et du plateau tibétain. Bref, ce sont encore les montagnes himalayennes les coupables!

Attention, toutes les zones de subduction ne sont pas nourries par d’importantes quantités de sédiments. Durant les années 80 et 90, des études sismiques et des forages (le Joides déjà!) ont montré que l’existence d’un large prisme d’accrétion n’était pas une caractéristique généralisable à toutes les zones de subduction. Dans certains cas, le passage de la plaque plongeante opère un effet de “rabot” sur la base de la plaque chevauchante et lui arrache du matériel qui est alors entraîné dans le manteau. On parle de “zone en érosion tectonique”. La présence de monts sous-marins sur la plaque subduite peut favoriser l’érosion tectonique lors de leur entrée en subduction. Généralement, le prisme d’accrétion associé à ce type de marge est réduit, voire absent et le fonctionnement de la faille formant la bordure de plaque peut être assez différent.

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Schéma d’une zone de subduction en érosion (modifié d’après Clift et Vannucchi, 2004)

Les zones de subduction de Tonga et des Mariannes sont de bons exemples de marges en érosion.

Pourquoi certaines marges sont-elles en accrétion et d’autres en érosion? 

La quantité de sédiments entrant dans la zone de subduction est l’un des facteurs majeurs déterminant le type de marge (Clift et Vannuchi, 2004). L’érosion tectonique est favorisée dans les zones où l’épaisseur de la couverture sédimentaire n’excède pas 1 km tandis qu’une couverture sédimentaire épaisse (>1 km) favorise la formation d’une marge en accrétion. Les zones de subduction océan/continent sont donc souvent des marges en accrétion, la majorité des sédiments proviennant de l’érosion des roches continentales. Il est important de préciser qu’au niveau d’une même zone de subduction, une partie de la marge peut être dominée par l’accrétion tandis qu’une autre le sera par l’érosion. Citons pour exemple la zone de subduction du Chili (Ranero et al., 2006) ainsi que celle de Nouvelle-Zélande (Collot et al., 1996). La transition entre les 2 types de marges peut aussi se faire au cours du temps- ce qui signifie que ce nous observons actuellement n’est pas forcément révélateur de ce qui s’est passé avant.

En raison des énormes contraintes générées par le passage d’une plaque sous l’autre, les zones de subduction sont connues pour être des zones très sismiques. Le séisme de magnitude 9.2 dans le nord de la zone de subduction de Sumatra, de même que celui de Tohoku-Oki en 2011 au large du Japon ont révélé l’existence de glissements peu profonds, ce qui était inattendu. Dans le cas du nord de Sumatra, le glissement s’est concentré sous le prisme d’accrétion et la rupture s’est prolongée sur une grande distance rendant ainsi la zone de rupture très grande. C’est assez inhabituel et mal expliqué par les modèles actuels de subduction.

Ce sont de telles observations, remettant en cause les modèles établis, qui sont à l’origine du projet de l’expédition 362. Parmi les questions auxquelles les scientifiques tentent de répondre : « que se passe-t-il quand des sédiments très épais et très riches en sables arrivent au niveau de la zone de subduction ? Le changement des propriétés physiques des sédiments a-t-il des conséquences sur la façon dont sont générés les tremblements de terre? Ce que nous allons apprendre grâce aux données de l’expédition 362 sera-t-il applicable à d’autres zones de subduction présentant les mêmes caractéristiques, comme celle du Makran?  Faut-il s’attendre dans cette région à des risques de tsunami? etc, etc….”

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Dans la vraie vie…

La plaque indo-australienne dérive vers le Nord-Est à une vitesse de 45 mm/an. Elle entre dans la zone de subduction de Sumatra en faisant un angle d’environ 50° avec la plaque de la Sonde. Il est en effet rare que, « dans la vraie vie », les 2 plaques s’affrontent directement avec un angle de 90° ! On parle alors de convergence “oblique”.

On a observé sur le terrain que l’obliquité se traduisait par l’existence de 2 types de mouvements: celui de la subduction à proprement parler (convergence orthogonale) et une zone de décrochement (pure strike slip sur le schéma).

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Décomposition de l’obliquité entre une subduction normale et une zone de décrochement

Précisons un peu les choses. Il y a 2 façons d’aller du point de départ à l’arrivée : soit vous traversez la rue à la parisienne (flèche rouge), soit vous décidez de suivre les passages piétons (côté discipliné du personnage à surveiller…) et vous faites successivement le trajet 1 puis 2. Le point d’arrivée reste le même !

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Illustration par Noami Barshi

Si ce schéma vous rappelle un cours de math sur les vecteurs, c’est normal! Vous faites ce que l’on appelle de l’interdisciplinarité ! (et sans le savoir, vous êtes au top de la pédagogie du moment…respect).

Pour en revenir à la zone de subduction de Sumatra, le mouvement global de la plaque indienne peut lui aussi se décomposer en 2 vecteurs orthogonaux : le jaune, parallèle à la zone de subduction et le rouge, perpendiculaire à cette même zone.

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Mouvement de la plaque indo-australienne (d’après Meltzner et al., 2012). Illustration par Naomi Barshi.

Le principal chevauchement de la zone de subduction accommode la composante Nord-Est du mouvement c’est-à-dire sa composante orthogonale  (vecteur rouge). C’est cette composante Nord-Est qui provoque les tremblements de terre le long de la zone de subduction.

Durant le tremblement de terre du 26 décembre 2004, la plaque surmontant la zone de subduction a « rebondi » vers le Sud-Ouest au-dessus de la plaque indo-australienne. La figure ci-dessous montre un exemple de modélisation du glissement au cours du séisme. Ce modèle a été élaboré en combinant données GPS et données sismiques. Remarquez que les flèches pointent pratiquement à 90° au-delà de la zone de subduction. La zone de subduction semble donc bien accommoder la composante perpendiculaire du déplacement de la plaque indo-australienne.

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Un exemple de modélisation du glissement le long de la frontière de plaque lors du séisme de 2004 (Chlieh et al., 2007)

Reste à prendre en compte le reste du mouvement (flèche jaune), c’est-à-dire à la composante tangentielle du vecteur mouvement de la plaque indo-australienne. Elle donne donne lieu à l’existence de grandes faille décrochantes sur l’île de Sumatra, parallèles à la zone de subduction. La faille de San Andreas est probablement la plus connue des failles décrochantes : elle laisse coulisser vers le Nord la plaque Pacifique le long de la plaque nord américaine. A Sumatra, la principale faille de décrochement est la grande faille de Sumatra qui court au centre de l’île. Cette faille est très proche de l’arc volcanique lié à la zone de subduction. La partie Sud-Ouest de la faille bouge vers le Nord-Ouest, c’est-à-dire que cela correspond au mouvement de la plaque qui n’est pas pris en charge par la subduction. D’autres failles de décrochements ont aussi été décrites en mer, elles-aussi parallèles à la zone de subduction.

La grande faille de Sumatra génère donc son propre facteur de risque qui s’ajoute à ceux déjà créés par les séismes liés à la zone de subduction et aux tsunamis qu’ils peuvent engendrer. Sans oublier de prendre en compte la présence de volcans très actifs, au Sud-Ouest et au niveau de la côte Sud des îles de Sumatra et de Java. La présence de ces volcans est directement liée à la zone de subduction (voir…. programme de TS).

Voici une carte des aléas sismiques pour l’Indonésie et la Malaisie qui montre le “mouvement maximal” que le sol est “susceptible” d’avoir s’il se produit un séisme durant les 50 prochaines années. Le “mouvement maximal” du sol est exprimé sous la forme d’une accélération, en %, comparée à l’accélération normale liée à la gravité. Le «susceptible» représente une probabilité de 10% que le sol bouge ainsi au cours des 50 prochaines années (carte créée avec les données de la base USGS).

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L’obliquité de la subduction dans la région de Sumatra n’est pas exceptionnelle. On observe aussi la présence de longues failles décrochantes au niveau d’autres zones de convergence oblique. Par exemple, les failles de Liquine-Ofqui et d’Antacama ont le même rôle que la grande faille de Sumatra dans le cas de la subduction du Chili. De même, au sud du Japon,  la «Median Tectonic Line» accommode le décrochement de la zone de subduction de Nankai.

Pour conclure, je citerais Guedj: “Dans la vie il faut choisir: compliqué et fréquent, ou bien simple et rare”.  Et paf!

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Chaud devant!

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Vue générale de la Ride de 90°E (modifié d’après Delescluse, 2007)

La ride de 90°E est une structure linéaire longue de 5000 km que l’on peut observer dans la bathymétrie et dont la direction est plus ou moins parallèle à celle du méridien de 90°E (d’où son nom!). Du sud au nord, on la suit de la Broken Ridge (à ~31°S) (située au sud-ouest de l’Australie) jusqu’à la Baie du Bengale, à l’est de l’Inde. Cette ride est surélevée de 2 à 3 km par rapport au plancher océanique adjacent et sa largeur varie entre 150 et 250 km. Morphologiquement, elle sépare le bassin central indien à l’ouest du bassin de Wharton à l’est. A proximité de notre site de forage (point JR sur la carte), la ride de 90°E est à environ 2000 m sous le niveau de la mer tandis que la plaine abyssale au niveau de laquelle nous forons est à 4 000 m de profondeur.

La ride sépare les dépôts du Bengal Fan* à l’ouest des dépôts du Nicobar Fan* à l’Est. Les matériaux volcaniques qui la constituent sont surmontés par 100 à 300 m de sédiments  accumulés depuis sa formation. Sur notre site de forage nous avons trouvé beaucoup de sédiments en provenance du Bengal Fan. En revanche, les sédiments qui se sont déposés sur la ride après sa formation sont d’origine strictement pélagique (c’est-à-dire formés dans la colonne d’eau plutôt que transportés par des courants gravitaires)  et associés avec de nombreux dépôts de cendre.

*Fan = éventail sédimentaire mais le terme anglais est employé de façon courante.

Quelle est l’histoire de cette ride?

Tout le monde s’accorde pour dire que cette ride est une trace volcanique liée à l’activité du point chaud des Kerguelen. Les points chauds sont des panaches mantelliques en provenance des grandes profondeurs de la Terre, probablement de la limite noyau/manteau (bien cette origine fasse l’objet de vives controverses).

Les points chauds génèrent des îles volcaniques: soit en position intraplaque comme c’est la cas des îles Hawaii par exemple, soit au niveau d’une frontière de plaque comme c’est le cas de l’Islande, île située sur la ride médio-atlantique.

La théorie du point chaud postule que le panache mantellique reste fixe par rapport aux mouvement des plaques tectoniques qui le surmontent.

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Point chaud et volcanisme associé

Ainsi, une première île volcanique se forme à l’aplomb du point chaud. Comme la plaque se déplace, le premier volcan est abandonné et une nouvelle île se forme portant un nouveau volcan. L’âge des îles augmente donc graduellement au fur et à mesure que la plaque bouge et qu’elle s’éloigne du point chaud. Plus les îles vieillissent, plus elles ont tendance à sombrer. Non pas parce qu’elle ne supportent pas l’apparition de leurs premières rides (ok, elle était facile  celle-là!) mais parce qu’elle se refroidissent et qu’elles ne sont plus alimentées par le point chaud.

Ce modèle correspond bien aux observations effectuées sur la ride de 90°E par les précédentes expéditions du Joides. En effet, les forages ont montré que la ride est de plus en plus jeune du nord au sud : de 80 Ma au Nord (entre 60 et 80 Ma près de notre site de forage), elle a été datée à 40 Ma au Sud. Par ailleurs, la ride s’enfonce depuis sa formation. Lors des forages effectués sur la ride, on a retrouvé des coquilles d’animaux vivant dans des eaux peu profondes (< à 150m) à plus de 2000 m de profondeur !

On complique un peu l’histoire?

Revenons maintenant un peu en arrière et essayons de comprendre la naissance du bassin de Wharton (maintenant que le fait est établi que la ride de 90°E n’est pas une dorsale!).

La séparation entre l’Antarctique et l’Inde commence au début du Crétacé (vers 130 Ma). L’Inde commence alors sa dérive vers le Nord à une vitesse de 10 à 15 cm/an. Les anomalies magnétiques montrent que le bassin de Wharton est issu du fonctionnement d’une dorsale très fragmentée, globalement disposée Est/Ouest et dont l’activité s’étale de la période allant du Crétacé supérieur jusqu’au Paléocène (de 83 Ma à 45 Ma). Les nombreuses failles transformantes associées à cette dorsale très découpée avaient donc une orientation globalement Nord/Sud.

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La formation du Bassin de Wharton et du bassin central indien (d’après Gaina et al., 2003)

On remarque encore dans la bathymétrie actuelle la position des failles transformantes fossiles associées à cette ouverture.

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Direction des failles transformantes dans le bassin de Wharton (modifié d’après Google map)

On ne peut qu’être troublé par la similitude entre l’orientation de la faille de 90°E et celle des transformantes fossiles actives pendant l’ouverture du bassin de Wharton. Le point chaud des Kerguelen semble donc avoir interagi de manière très complexe avec les segments de dorsale les plus proches de celui-ci. Tout semble indiquer que du matériel en provenance du point chaud se soit écoulé le long d’une zone de fracture pré-existante formée lors de l’ouverture Est/Ouest. Ce type de faille transformante est qualifiée de « leaky transform » ce qui donnerait en traduction littérale une transformante « qui fuit ».

Lorsque la collision himalayenne débute, la dorsale du bassin de Wharton cesse de fonctionner et l’activité de la dorsale sud-est indienne s’intensifie. Elle scinde alors le plateau des Kerguelen en 2 parties, la Broken Ridge étant datée de la même époque que le plateau (~95 Ma). C’est la naissance de la ride sud-est indienne qu’elle qu’on la connaît actuellement!

Pour conclure, cette devise Shadok, que je trouve particulièrement bien adaptée à la géologie de l’océan Indien 🙂

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Portrait de famille

paleontologistsNous avons 4 micropaléontologues à bord du Joides. Chacun d’entre eux est spécialisé dans un groupe de microfossiles.  Laissez-moi vous présenter cette équipe de choc! De gauche à droite: Freya pour les Diatomées, Wen-Huang pour les Foraminifères, Jan pour les Nannofossiles et Sarah pour les Radiolaires.

Pourquoi utiliser les fossiles?

Pour dater les sédiments! Données cruciales pour être capable de reconstituer l’histoire géologique de la région.

Pourquoi des microfossiles?

Question de pratique!

  • On ne tombe pas sur des os de T-Rex tous les jours (faut pas croire ce qu’on voit dans les films..).  Les microfossiles sont abondants, largement distribués et on les trouve dans pratiquement tous les environnements marins.
  • Ils existent depuis des millions d’années ce qui permet de dater la plupart des roches sédimentaires.
  • Les espèces ont évolué graduellement ce qui permet de trouver différentes associations d’espèces pour chaque période (on parle de “biozone”).
  • Pour finir, ils sont petits et faciles à collecter, même lorsque les puits sont profonds.

Afin de faire connaissance avec ces différentes familles de microfossiles, Sarah a eu la gentillesse de nous préparer une lame représentative du contenu fossilifère trouvé au niveau du plancher océanique  à 4126 m de profondeur (site U1480) .

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Photos des 4 groupes de microfossiles trouvés sur le plancher océanique lors de l’expédition 362 (Préparation et photos par Sarah Kachovich)

Tous ces fossiles sont des unicellulaires présents dans le plancton. Radiolaires et Diatomées ont un squelette siliceux (SiO2). Les Diatomées appartiennent au phytoplancton (“phyton” = végétal en grec). Réalisant la photosynthèse, elles ne se trouvent que dans la zone photique durant leur vie (jusqu’à ~200 m lorsque les eaux sont claires). Au contraire, les Radiolaires appartiennent au zooplancton (“zoo” = animal), on peut donc les trouver à n’importe quel niveau de la colonne d’eau.

Le squelette des Foraminièfres et des Nannofossiles est fait de carbonate de Calcium (CaCO3). Les Foraminifères (les “Forams” comme on les appelle familièrement) ont des coquilles formées de chambres qui s’ajoutent les unes aux autres au cours de la croissance, les formes les plus simples étant de simples tubes ou des sphères creuses. La plupart des espèces de Forams vivent dans ou sur le sable, les roches et les plantes de la tranche d’eau supérieure; les autres sont planctoniques, c’est-à-dire qu’ils vivent dans la colonne d’eau.

Les Nannofossiles sont quant à eux si petits qu’ils sont à peine discernables avec un microscope optique. Ce ne sont pas à proprement parler des restes d’organismes entiers mais plutôt des fragments de restes d’organismes. Les coccolithophores sont un des groupes emblématiques produisant des Nannofossiles. Ce sont des algues unicellulaires, très abondantes dans les océans, qui produisent des plaques de calcaire en forme de disque qui, assemblées entre elles, forment une coccosphère (compter de 10 à 30 coccolithes par sphère). A la mort de l’organisme, les plaques se détachent les unes des autres, tombent au fond de la mer et sont préservées en tant que Nannofossiles. La photo illustre la monstrueuse différence de taille entre un radiolaire (à gauche) et un Nannofossile (à droite).

Comparaison entre la taille d'un radiolaire (à gauche) et un Nannofossile (à droite) (photos de Sarah Kachovich)
Comparaison entre la taille d’un radiolaire (à gauche) et un Nannofossile (à droite) (photos de Sarah Kachovich)

Les Nannofossiles, au même titre que les Diatomées, appartiennent au phytoplancton. Réalisant la photosynthèse, on les trouve à l’état vivant principalement dans les 50 premiers mètres. Leur mode de vie planctonique, leur évolution rapide et leur abondance exceptionnelle* en font un groupe très recherché pour la biostratigraphie.

* Les coccolithes sont les constituants majeurs de la craie!

Comment l’utilisation des microfossiles permet-elle de déterminer l’âge des sédiments?

Plus nous avançons dans le forage, plus l’âge des fossiles rencontrés augmente. Les espèces de microfossiles, au même titre que toutes les espèces, sont apparues, ont évolué et la plupart d’entre elles ont disparu.

L’objectif des micropaléontologues? Utiliser l’assemblage des espèces trouvées simultanément dans un niveau sédimentaire afin de pouvoir estimer son âge. Donner un âge à un sédiment ou à une roche en utilisant son contenu fossilifère s’appelle faire de la “biostratigraphie”. Ce qui sous-tend la biostratigraphie est la notion de “biozone”. Une biozone est une unité stratigraphique (une “couche” pour faire simple) caractérisée par son contenu en fossiles (absence ou combinaisons de certaines espèces). On peut définir 5 types de biozones:

  • Taxon Range Zone (TRZ)  = Zone de distribution totale d’un seul taxon. Les limites inférieure, supérieure et latérale de la zone sont caractérisées par la présence du seul taxon A. Définition d’un taxon ici.
  • Concurrent Range Zone (CRZ) = Nécessite la coexistence de 2 taxons différents qui doivent se chevaucher. La limite inférieure est marquée par l’apparition d’un taxon et la limite supérieure par la disparition d’un autre.
  • Base Zone (BZ) et Top Zone (TZ): ce sont des zones d’intervalles. Deux taxons-indice seulement définissent les limites. L’apparition d’un des 2 taxons et la disparition de l’autre marquent les limites inférieures ou supérieures.
  • Partial Range Zone (PRZ) = Zone d’intervalle établie pour séparer l’éventail des espèces C sur la base de la présence (ou de l’absence) des 2 autres taxons (A et B) qui n’ont pas coexisté.

ça a l’air très compliqué comme ça mais sur la figure, c’est nettement plus simple:

Les 5 possibilités pour la caractérisation biostratigraphique des biozones (Backman et al. , 2012)
Les 5 possibilités pour la caractérisation biostratigraphique des biozones (Backman et al. , 2012)

A noter que toutes les espèces n’ont pas la même valeur stratigraphique: certaines espèces ont évolué très lentement et ont existé pendant de très longues périodes. Ainsi, les contraintes apportées sur l’âge ne sont pas suffisamment importantes. Alors que dénicher dans les sédiments une espèce ayant eu une courte durée d’existence remplit de joie nos spécialistes.

De même, peu importe qu’une seule espèce soit excellemment représentée et conservée. Ce qui est compte, c’est d’avoir un échantillonnage maximal des espèces ayant vécu ensemble afin d’avoir une contrainte précise sur la biozone. Concrètement, plus le nombre d’espèces trouvées dans le sédiment sera importante, meilleure sera l’estimation de l’âge.

Les micropaléontologues sont donc très courtisés sur le Joides car leur travail est essentiel. Les âges qu’ils estiment sont indispensables pour que les autres équipes (sédimentologues, structuralistes, propriétés physiques) puissent analyser les séquences de sédiments et de roches forées. Grâce à l’âge, on peut accéder aux taux de sédimentation, les relier éventuellement à des changements climatiques et/ou à des événements tectoniques majeurs (la surrection de l’Himalaya par exemple en ce qui nous concerne).

Pour conclure, une citation de Baltasar Gracian y Morales: “Aie la connaissance ou écoute ceux qui l’ont”.

Et paf…

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Quand les sédimentologues rencontrent l’équipe des propriétés physiques, l’ambiance est studieuse: les interprétations des différentes données se doivent d’être cohérentes entre elles et apparemment, ce n’est pas une mince affaire!